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État des lieux

Addiction et métabolisme : Volet médical.

 

Pour bien parler et traiter du sujet de l’addiction, il nous semble essentiel de faire la distinction entre dépendance et addiction. Sans être synonymes, ces deux notions sont étroitement liées.

 

La dépendance est la conséquence d’un déséquilibre du fonctionnement neurologique à la suite d’une consommation régulière d’une substance psychoactive ou d’un produit sans substance. C’est ce déséquilibre qui provoque l’envie de consommer à nouveau cette substance psychoactive ou ce produit afin de retrouver son état « normal » sans ressentir les effets négatifs et de mal être du manque.

 

L’addiction est le degré supérieur de la dépendance. Il s’agit d’une incapacité pour l’individu à ne pas consommer la substance ou le produit sans substance malgré la connaissance des effets négatifs et/ou morbides qui s’ensuivront. La personne est vulnérable face aux signaux de plaisir envoyés par les neurotransmetteurs dans son cerveau qui génèrent chez elle des comportements compulsifs, incontrôlés et irraisonnés. Au fur et à mesure, le plaisir de l’individu n’est plus la priorité, il tente de calmer ses anxiétés et instabilités émotionnelles par la consommation immédiate.

 

Le système de récompense :  Pour comprendre ce que nous nommons le circuit de récompense, attardons-nous sur 2 expériences ; l’une en 1957, la seconde dans les années 2010.

Les neurobiologistes s’interrogeaient déjà sur la notion de plaisir au siècle dernier. Les résultats d’une célèbre expérience furent publiés en 1954. « Olds et Milner », deux chercheurs américains, ont mis en évidence que des rats sur le crâne desquels avaient été disposées des électrodes, avaient appris à appuyer sans relâche sur une pédale délivrant un courant électrique à la pointe de l’électrode leur procurant du plaisir. Après l’apprentissage, les rats ne cessaient d’appuyer sur la pédale… jusqu’à en mourir.

« En appuyant sur un levier, le rat peut stimuler lui-même cette région de son cerveau, à l'origine de la sensation de plaisir. Une fois que le rat a découvert comment s'administrer une sensation de plaisir, il s'auto-stimule sans arrêt, ne prenant même plus le temps de manger. La stimulation directe de ce circuit est donc tellement puissante que l'animal en oublie ses besoins fondamentaux. C'est exactement ce qui se passe avec la prise de drogues ». Par Sandrine Beaudin découverte du circuit de la récompense : Olds & Milner, 1954

Les chercheurs ont été obligés de couper le circuit électrique pour les sauver. De faible intensité, le courant ne présentait pas de danger. Mais les rats cessaient de s’alimenter et de boire tant le courant leur procurait de plaisir. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence que « la stimulation de certaines aires cérébrales entraînait une satisfaction si intense qu’elle faisait perdre toute sensation de faim et de soif ».

 

Dans les années suivantes, la conjonction des connaissances en anatomie, neurobiologie comportementale et neuropharmacologie ont défini une entité dénommée « circuit de la récompense ». Les progrès de l’imagerie cérébrale ont mis en évidence des débits sanguins cérébraux chez l’Homme lorsque le plaisir, qu’il soit d’origine émotive, sensorielle ou sexuelle, était présent.

Dans les années 2000 une équipe canadienne a établi que les désactivations observées dans les deux zones principales concernées par l’addiction (l’amygdale et le cortex entorhinal) correspondent à une disparition de la vigilance vis-à-vis du monde extérieur.

Les recherches de neuro-imagerie illustrent donc l’existence de structures cérébrales activées par le plaisir, quelle qu’en soit l’origine, et expliquent les comportements de l’individu sous addiction.

 

Quelques décennies plus tard, une seconde expérience nous permet d’approfondir le sujet. Wolfram Schultz à Fribourg en Suisse étudie les réactions de singes éveillés.

Elle se décompose en 3 phases :

  1. Administration aléatoire d’une goutte de jus de pomme (récompense) qui entraîne, après environ 200 ms, une augmentation de l’activité du neurone dopaminergique*. Ce processus, inné, est dans ce cas dû, entre autres, à la présence de sucre dans le jus de pomme et signale à l’organisme une source d’énergie.

  2. Après apprentissage de l’association « lumière qui s’allume → goutte de jus de pomme », le neurone dopaminergique s’active juste après le stimulus lumineux et non plus après la récompense. Notons que le temps écoulé entre l’allumage de la lumière rouge et l’arrivée de la goutte de jus de pomme n’est que légèrement supérieur à une seconde, un temps nécessairement court pour que l’association stimulus-récompense puisse avoir lieu.

  3. Cette fois, le singe ne reçoit plus de jus de pomme après le stimulus lumineux. Ce dernier est cependant toujours associé à l’activation du neurone dopaminergique. En revanche, une seconde et demie après le stimulus lumineux, juste après le moment où la goutte de jus de pomme aurait dû être reçue, le neurone dopaminergique devient silencieux pendant une centaine de millisecondes.

 

Finalement, après conditionnement, le neurone dopaminergique signale l’erreur de prédiction de la récompense, c’est-à-dire la différence de valeur entre la récompense attendue et la récompense obtenue. Les neurones dopaminergiques indiqueraient ainsi par leur baisse d’activité l’existence d’un manque et représenteraient un signal incitant à compenser ce dernier.

Auteur(s)/Autrice(s) : Pascal Combemorel, d'après Schultz et coll., 1997

* Les neurones dopaminergiques, les cellules nerveuses du cerveau qui produisent la dopamine, sont impliqués dans d'importants processus biologiques comme le mouvement, la motivation et la connaissance.

Cette troisième phase est surprenante. Chez un singe qui a compris qu’il existait un lien entre la lumière rouge et le jus de pomme, on observe que lorsque le jus de fruit n’est plus délivré, l’activité des neurones à dopamine chute quasi instantanément quand la récompense attendue ne vient pas. Les chercheurs proposent l’idée que cette absence momentanée d’activité des neurones à dopamine provoque un mal-être. Chez l’humain, cela correspondrait à une douleur, une frustration, une perte ou un abandon.

Ces deux expériences nous informent sur le mécanisme de l’addiction. Non seulement on comprend qu’un circuit de récompense nait de l’utilisation de certaines substances (ou dans le cas de notre étude, des applications qui peuvent nous procurer du plaisir « gagner une partie, recevoir des compliments, jouir de privilèges au travers un avatar…), mais que pour accéder à ce plaisir, le cerveau baisse la garde, et se montre moins vigilant. L’individu a conscience du risque qu’il court, mais préfère ce scénario à celui qui pourrait occasionner la sensation de frustration. Il s’expose volontairement ainsi aux menaces extérieures.

Le système de la récompense n’est pas le seul impacté dans l’addiction puisque les circuits de la mémoire et apprentissage, du contrôle et de la motivation se trouvent affectés et jouent un rôle essentiel.

Si la dépendance n’entraîne pas forcément l’addiction, l’addiction elle est toujours conséquente à une dépendance. Avec l’addiction, le cerveau subit des perturbations complexes de ses mécanismes entraînant une perte de contrôle du comportement. On la classe dans les maladies neurologiques.

Les différentes addictions :

On distingue deux types d’addiction :

  • liée à une substance

  • liée à des produits sans substance

Quand l’individu n’arrive plus à maitriser son rapport à la substance ou l’objet (et dans notre cas, nous parlons du produit numérique), dès qu’il souffre de ne pas pouvoir « consommer », nous sommes en présence d’une addiction.

 

Le processus addictif est plus ou moins rapide. Les individus concernés vont augmenter progressivement la fréquence et la quantité de leur consommation. Il est important de préciser que nous évoquons les sujets souffrant d’une pathologie, tous les consommateurs ne sont pas concernés car fort heureusement, tout le monde ne devient pas « accro ».

Précisons que l’addiction est une maladie du système nerveux face à laquelle nous ne sommes pas tous égaux en fonction de nos gènes, de l’environnement dans lequel nous évoluons et de notre histoire (chocs émotionnels, traumatismes).

Le rôle du cerveau est bien entendu central dans le processus d’addiction et des troubles qui en découlent. Le mécanisme, fondement lié au système de récompense, est perturbé par la consommation qui démultiplie la sensation de plaisir. Il s’agit parfois aussi d’un dysfonctionnement initial du cerveau qui ne régule pas correctement son système de récompense.

Dans le premier cas, le cerveau va recevoir une récompense qu’il n’attendait pas. Il provient d’un comportement particulier ou un contenu spécifique. Le cerveau va alors « graver » la conséquence positive de ce comportement et en redemandera. Le système de récompense devient hypertrophié, l’addiction entretenant au niveau du cerveau un dysfonctionnement du système dopaminergique.

La dépendance, prémices de l’addiction, révèle toujours une insatisfaction, un vide. La consommation vient « remplir », de façon transitoire, ce vide. Le lien entre dépendance et addiction est bien le fruit de l’histoire d’un manque. On parle alors de la mise en place d’un phénomène de « craving » qui est une perte de contrôle par le besoin irrépressible de consommer. Et ce, malgré toute sincère intention de ne pas y succomber.

L’addiction est le résultat de plusieurs caractéristiques individuelles et de facteurs environnementaux. Tout cela pour préciser que la racine addictive n’est pas uniquement liée à la consommation du produit numérique. Il s’agit d’une rencontre entre la vulnérabilité d’un individu et du produit.

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